Cybersurveillance (Le Monde)

Cybersurveillance : les Pays-Bas et l’Allemagne en demandent plus LEMONDE.FR | 20.02.07 | 15h35    Mis à jour le 20.02.07 | 15h53
           
En Allemagne, le ministère de la justice veut pouvoir identifier nominativement les détenteurs d’adresses e-mails, et interdire l’utilisation de "fausses informations" dans les comptes créés à cette occasion. Aux Pays-Bas, les autorités entendent obliger les opérateurs de téléphonie mobile à géolocaliser en continu les conversations de leurs clients. Dans les deux cas, rapporte le New York Times, des propositions de loi ont été rédigées allant bien au-delà de ce que prévoit la directive européenne sur la conservation des données de connexion.
Ce texte, adopté le 15 mars 2006, et qui doit être transposé dans les pays membres d’ici à mars 2009, oblige les opérateurs de services téléphoniques et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à conserver les données de connexion (qui contacte qui, d’où, quand, pendant combien de temps) de leurs clients de six à vingt-quatre mois, en fonction des Etats. Par contre, elle ne prévoit pas de tracer les utilisateurs de téléphonie mobile ou d’interdire l’utilisation d’adresses e-mails anonymes.
Pour l’autorité de protection des données personnelles des Pays-Bas, la proposition de loi néerlandaise viole même la convention européenne des droits de l’homme, comme le rapporte l’European Digital Rights (EDRI), une coalition réunissant vingt-cinq organisations de défense des droits de l’homme et de la vie privée dans seize pays de l’Union européenne.
 
POLICIERS, ET PIRATES INFORMATIQUES À LA FOIS
Selon le quotidien allemand Heise, Peter Schaar, commissaire fédéral à la protection des données, s’inquiète de voir que la surveillance devienne la règle, et non l’exception : "Cela va trop loin, je ne suis pas sûr que cela soit conforme aux stipulations de la Cour constitutionnelle". Pour lui, "la rétention des données de télécommunications ne sert plus seulement à combattre le terrorisme, mais répond aussi à des intérêts économiques", à commencer par les industries du disque et du cinéma, qui cherchent ainsi à combattre les échanges de fichiers copyrightés sur les réseaux P2P.
Fin janvier, la Cour fédérale de justice allemande a déclaré "illégal" le piratage informatique par la police d’ordinateurs à l’insu des intéressés, en l’absence de toute loi correspondante. Le ministre de l’intérieur a déclaré vouloir adopter un projet de loi permettant de procéder à des "perquisitions en ligne" des "domiciles virtuels" des personnes suspectées par la police. Quitte, comme le précise Heise, à développer un "cheval de Troie" fédéral plutôt que d’utiliser les outils traditionnels des pirates informatiques. Elle vient d’ailleurs d’engager deux informaticiens pour cela.
 
Jean Marc Manach
 
Le gouvernement veut créer une "commission de déontologie" de l’information en ligne LEMONDE.FR | 19.02.07 | 16h11    Mis à jour le 19.02.07 | 16h33
Dans un document confidentiel, que s’est procuré lemonde.fr, le Forum des droits sur l’Internet (FDI) déplore l’absence de concertation ayant présidé à la rédaction d’un projet de décret portant création d’une "Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne". Le FDI qualifie le projet de "construction ‘baroque’, par certains aspects inquiétante", son "objectif de régulation excédant la seule préoccupation de protection de l’enfance annoncée au préalable".
D’après la version initiale du décret, rendue publique par la Ligue Odebi le 7 février, et qui attend d’être signé pour sortir au Journal officiel, la commission aurait pour mission d’émettre, à l’intention des opérateurs de services en ligne, des recommandations "tendant à assurer le respect des principes de déontologie, tels que la protection des mineurs ou le respect de la dignité humaine", et d’assurer le suivi de ces recommandations. Celles-ci, s’inspirant "notamment de propositions" du FDI, pourraient prendre la forme de "labels de qualité" et de "clauses déontologiques à insérer dans les contrats souscrits par les opérateurs" dont le respect serait assuré par un comité chargé des différends. Ses vingt-trois membres seraient désignés pour cinq ans par arrêté du premier ministre.
Le FDI "souhaite que des garanties textuelles soient apportées afin de limiter dans un premier temps le champ d’intervention de la Commission à la protection des personnes sur les réseaux de téléphonie fixe et mobile" et réclame que ses recommandations soient préparées au sein même du Forum des droits sur l’Internet.
 
"SI ON VOULAIT INSTAURER UN RÉGIME À LA CHINOISE, ON NE FERAIT PAS AUTREMENT"
La polémique tient en partie au fait que la Commission, comme Philippe Bas, ministre délégué à la famille, l’avait déclaré le 31 janvier, devait initialement effectuer "une classification des contenus et des services multimédias mobiles (…) selon des critères partagés avec ce qui se fait déjà pour les jeux vidéo, le cinéma ou la télévision" et proposait la création de pictogrammes ("tous publics", "déconseillé aux moins de 12 ans", etc.). Or, le projet de décret concerne aussi bien "les opérateurs de communications électroniques, fixes ou mobiles" que les fournisseurs d’accès à l’Internet et les hébergeurs de sites Web.
L’Association pour la promotion et la recherche en informatique libre (April), membre du conseil d’orientation du FDI, critique ainsi "le fait que le champ d’intervention de la commission proposéepar le gouvernement soit extensible bien au-delà de la stricte protection de l’enfance". L’association craint que la Commission n’émette des avis relatifs à la presse en ligne ou à la prévention des atteintes au droit d’auteur : "Fournisseur d’accès à qui l’on demande de procéder à la suspension du contrat d’abonnement d’un internaute qui ne respecte pas certaines recommandations destinées à protéger la propriété intellectuelle, hébergeur qui devra procéder à la suppression de certains contenus choquants publiés sur des blogs, etc." Reporters sans frontières craint également que "ce texte ne pousse les prestataires de services à censurer abusivement leurs contenus pour préserver leur label".
Pour Christophe Espern, de l’April, interrogé par lemonde.fr, "la protection de l’enfance est instrumentalisée pour servir des intérêts catégoriels et politiques". De fait, le décret est aujourd’hui entre les mains de l’Elysée, de Matignon et du ministère de l’industrie, plus dans celles du ministère de la famille, alors même qu’il visait, de prime abord, la protection des mineurs. Jean Pierre Quignaud, de l’Union nationale des associations familiales, également membre du conseil d’orientation du FDI, dénonce une "dérive" en matière de régulation  de l’Internet. Comme ce fut le cas lors du vote de la loi Dadvsi, qui durcit le dispositif contre le téléchargement, M. Quignaud y voit le "fantasme"  de plusieurs groupes d’intérêt qui pensent pouvoir contrôler Internet par le sommet, et"tout surveiller". Il avait ainsi déclaré à Politis que "si on voulait instaurer un régime à la chinoise, on ne ferait pas autrement".
 
UNE REPRISE EN MAIN "POLITIQUE" DE L’INFORMATION EN LIGNE ?
L’April remarque à ce titre que, échaudé par la polémique ayant entouré l’adoption de la loi Dadvsi sur le droit d’auteur, Renaud Donnedieu de Vabres avait déclaré, l’an passé, qu’il souhaitait "s’attaquer un jour au problème de la presse et de l’Internet" et en appelait au respect des "règles du jeu et des principes de déontologie".
Dans le rapport qu’il vient de remettre ce matin au ministre de la culture, "La presse au défi du numérique", Marc Tessier propose ainsi de "mettre en place un encadrement juridique" des sites d’information sous la forme d’un "label ‘information en ligne’" indiquant le respect de "règles précises de déontologie et de contenu". Afin d’éviter qu’un tel "label officiel, géré par les pouvoirs publics et les organisations professionnelles" n’apparaisse comme "une tentative de contrôle ou d’encadrement d’un réseau dont les aspirations libertaires sont très fortes", cette "démarche de labellisation"  serait d’abord gérée par les professionnels eux-mêmes. A terme, ce label pourrait servir de "référence" pour l’obtention d’aides (aide en fonds propres, TVA réduite, statut de correspondant en ligne…).
Pour l’association IRIS, le projet de la Commission de déontologie vise à "réglementer et contraindre l’expression publique (…) en échappant (…) aux règles de la démocratie et de l’ÉEat de droit". L’April, qui voit dans la composition "politique" des membres de la Commission "une volonté de reprise en main par l’Etat de la régulation de l’Internet", dénonce également le fait que cela revient à lui donner les moyens de se substituer à la justice. Pour Christophe Espern, "ce n’est pas à une commission administrative d’édicter les normes comportementales des acteurs techniques de l’Internet". Pionnière des organisations de défense des libertés sur l’Internet, IRIS rappelle à ce titre qu’en 1996, une tentative similaire de création d’un Conseil chargé d’élaborer un code de déontologie de l’Internet, voulue par François Fillon, avait été censurée par le Conseil constitutionnel, et, note l’April, "définitivement enterrée par le Conseil d’Etat en 1998".
 
lemonde.fr

 

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